Comprendre et surmonter la peur de sortir liée au Coronavirus (partie 3/4)

6 minutes de lecture

Cet article est la seconde partie d’une série de 4 dont la première est disponible ici, et la seconde, ici. La lecture de ces parties, si elle n’est pas nécessaire, enrichit l’article que vous vous apprêtez à lire. Bonne lecture.


Nous avons vu la semaine dernière que certaines stratégies et manières de penser pouvaient être à l’origine de ce que les chercheurs appellent le « syndrome de la cabane », une peur de quitter son lieu de confinement, une peur de sortir. Je vais vous présenter aujourd’hui un type de pensée qui peut le renforcer, voire réellement nous faire passer d’une prudence saine et normale à un trouble anxieux important si l’on n’y prend pas garde. 

Il s’agit d’une cognition très spécifique et qui s’applique particulièrement à tout ce qui est porteur d’incertitude dans nos vies (ce qui malheureusement fait un paquet de choses). Ce type de pensée c’est le doute. 

Rencontre d’un type douteux

Le doute, ce sont toutes ces pensées qui commencent ou qui pourraient commencer par « et si », « imagine que… », et « si ça se trouve… ».

Par exemple : « Et si y avait du covid sur la boîte d’œuf que j’ai achetée ? »

« Imagine que la personne qui était à la caisse avant moi ait toussé dans l’air et qu’il y ait toujours des particules en suspension quand je passe ? »

« Si ça se trouve mon masque, il marche pas, et d’ailleurs si ça se trouve je suis déjà porteuse du virus et je le sais même pas encore et je vais contaminer mes enfants et ma mère si je lui rends visite. »

Ces pensées ont toutes un point commun : elles ne se basent sur absolument rien. Elles sont des scénarios élaborés dans nos têtes sans le moindre élément pour les appuyer, et sans la moindre considération pour le danger réel. Elles sont le plus pur fruit de notre imagination d’autant plus fertile que nous sommes stressés.

Dites comme ça, les phrases ci-dessus n’ont l’air de rien. Nous en avons tous, parfois. C’est normal, imaginer ce qui POURRAIT arriver fait partie des fonctions protectrices de notre cerveau. Imaginer que vous pourriez tomber est sûrement ce qui va vous faire vous tenir loin du bord d’un précipice. Certaines personnes par ailleurs sont de véritables expertes en élaboration de scénarios catastrophes, et elles peuvent d’ailleurs être très utiles dans un groupe. Elles nous invitent à la prudence quand l’excitation du moment pourrait mener à la témérité.

Mais ces pensées peuvent devenir un fardeau, voire véritablement dangereuses, dès lors qu’on leur donne trop d’importance, qu’on leur accorde valeur de vérité et qu’on est plus capable de faire la différence entre ce qui pourrait arriver et ce qui est concrètement vraisemblable.

Voyez la différence avec cette phrase qui ne relève pas du doute :

« J’ai été obligé de toucher la poignée de la porte pour sortir, il faudra que je me lave les mains en rentrant. » 

On a un problème identifié : le contact avec une surface qui a pu être contaminée, ou pas, et une solution simple pour y remédier. Lorsqu’on se sera lavé les mains, le problème sera résolu. On pourrait même imaginer se laver les mains quoiqu’il arrive après chaque sortie, comme une règle, rationnelle et non contraignante dans laquelle ce qui s’est passé ou ce qu’on imagine ne rentre même pas en ligne de compte. C’est d’ailleurs les recommandations qui nous sont faites.

Par contre, imaginez que survienne le doute « Et si je m’étais pas bien lavé les mains ? Ou qu’il y en avait ailleurs ? », et qu’on accorde à cette pensée sans fondement la même valeur ? Là, cela peut devenir problématique. On va alors se laver les mains et une fois les mains lavées, on se sentira mieux. Pour un temps. Parce qu’il pourra revenir ce doute, encore, et encore, et encore. Et on ne pourra en être libéré que par la mise en place d’un rituel qui nous libérera temporairement de son emprise. Ce mécanisme vous l’avez peut-être reconnu, c’est le mécanisme du trouble obsessionnel compulsif. Le doute est comme comme une plante grimpante : si on lui accorde trop la lumière de notre attention, il finit par envahir tout notre espace mental jusqu’à nous bloquer complètement. 

Sans aller jusque là, je crains que cette crise ne contribue à faire émerger chez un certain nombre de scénaristes catastrophes compétents (qu’on appelle communément des anxieux) des craintes qui vont venir alimenter ce « syndrome de la cabane », cette peur de sortir.

La tyrannie du doute

Alors, comment échapper à la tyrannie du doute ?

Pour le comprendre, appliquons la logique du doute à un autre contexte, une enquête de police. Imaginez. 

L’inspecteur en chef soupire de désespoir, son visage buriné par les années dans les mains. Ses coudes reposent lourdement sur le bureau fatigué en ferraille grisâtre, autrefois blanc, où sont étalées les quelques pièces du dossier. Le meurtre d’un notable retrouvé chez lui un couteau entre les deux clavicules avec deux belles empreintes sur le manche. Une affaire à priori jouée d’avance, un baroud d’honneur supposé glorieux, comme un cadeau avant son départ à la retraite prochain.  Mais pour le moment, il est au point mort, il n’a rien. Pas l’ombre d’une piste ou d’un mobile. Peau de balle. Niet. Nada. Circulez, y a rien à voir. Pour couronner le tout, le partenaire qu’on lui a affublé pour l’enquête est une bleusaille tout droit sortie de l’école de police avec dans l’œil la vivacité d’un veau sous Tranxen. Il est assis à côté de lui, les yeux tournés vers le téléviseur mural qui diffuse en continu une chaîne d’information dans le commissariat. Soudain il se penche vers le poste et lance comme s’il avait eu une illumination : 

« Et si c’était lui qui avait fait le coup ? » 

– Qui ça ? répondit l’inspecteur en chef.

– Lui, là. Le maire. Il pointe son doigt vers le poste. Les infos montraient effectivement le maire, en visite dans une école, avoir ce qui semblait être une grande conversation avec un CE1.

–  Mais, d’où tu sors ça ? On n’a aucune raison de penser que la victime connaissait le maire, lui répondit l’inspecteur d’un air dubitatif.

– Oui, mais si ça se trouve ils se connaissaient en secret et peut-être qu’il lui devait de l’argent, et c’est pour ça qu’il l’a tué, pour éponger sa dette !

–  On n’a aucun élément qui va dans ce sens, c’est du délire… D’ailleurs…, il pianote quelques secondes sur son ordinateur après avoir réajusté ses lunettes sur le bout de son nez, voilà, il est dit sur le site de la mairie qu’il assistait à une inauguration le soir du meurtre. 

–  Et s’il avait un sosie pour remplir ses fonctions administratives et lui servir d’alibi pendant qu’il trempe dans des affaires louches ? Si ça se trouve le type qu’on voit là, ce n’est même pas vraiment lui. »

–  Je ne vois absolument aucune raison de penser ça, tu débloques complètement.

–  oui, mais… ce serait… possible, non ?

– En théorie, hypothétiquement, ce serait physiquement possible, oui, mais…

– Et tu ne peux pas prouver que c’est faux, n’est-ce pas ? 

– J’imagine que non, mais…

– Alors je propose qu’on lance une filature sur le maire 24/24 à partir de maintenant. »

C’est une évidence !

Ça a l’air ridicule comme ça pas vrai ? Et ce qui serait encore plus ridicule, ce serait de lancer cette filature, non ? Et pourtant, il n’est pas rare qu’un doute, pas beaucoup plus éclairé que la théorie de notre jeune inspecteur Finaud, nous amène à ressentir des émotions comme la peur, la colère ou la tristesse et finisse par guider nos actions dans des directions regrettables. Dans la situation qui nous intéresse, cela pourrait être ne plus sortir de chez soi car il est physiquement possible d’être contaminé, même en prenant toutes les précautions.

Ce jeune inspecteur, c’est votre cerveau. L’inspecteur en chef, c’est votre conscience. L’enquête, c’est votre vie. Votre cerveau va de temps en temps produire des hypothèses totalement loufoques et les présenter à votre conscience, pour la simple et bonne raison qu’il peut le faire. Parce que ce serait possible, parce qu’il a de l’imagination. Mais votre conscience, elle, n’est pas obligée de prendre les recommandations de votre cerveau pour argent comptant, elle est l’inspectrice en chef, c’est elle qui dirige l’enquête. 

La conversation ci-dessus aurait pu s’arrêter dès le moment où le jeune inspecteur a évoqué le maire sans aucune raison concrète. On lui aurait alors mis l’étiquette de « théorie fumante », et on serait revenu à ce qui pouvait faire avancer l’enquête.

Ne pas céder à la tyrannie du doute dans notre vie, c’est le reconnaître pour ce qu’il est. Une idée sans preuve, et rien de plus. C’est ne pas le prendre plus au sérieux et ne pas lui accorder plus d’importance qu’il n’en mérite. On n’empêchera pas pour autant notre cerveau d’en produire. Mais on pourra arrêter de mener notre vie à partir de dossiers vides et nous concentrer sur compte vraiment.

Rendez-vous courant de la semaine pour la quatrième et dernière partie.

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