Article initialement posté sur lepharmakon.fr le 5 mai 2018.

La méditation de pleine conscience est à la mode. Psychologues, psychiatres et gourous en tout genre l’ont bien compris et surfent sur sa vague comme Magic System autrefois sur celle des tubes de l’été. Difficile aujourd’hui de parcourir le rayon psychologie d’une librairie sans crouler sous le poids des innombrables ouvrages à son sujet. Manger instant après instant, marcher, à l’écoute du moment présent, ou encore poser du placo en pleine conscience, il y a un livre pour toutes les activités, et le mot d’ordre est simple : si à 30 ans, on n’a pas commencé la méditation en pleine conscience, on a quand même raté sa vie. Elle est aujourd’hui utilisée dans la médecine, la psychothérapie, le développement personnel et fait même une entrée fracassante dans le management. Mais c’est quoi au juste la méditation de la pleine conscience ? Et existe-t-il une chance de salut pour toi si tu ne la pratiques pas ?
La méditation de la pleine conscience est un entraînement à faire de la place à l’ensemble des expériences qui se déroulent dans l’ici et maintenant, sans en privilégier, en juger, ni chercher à en modifier aucune. C’est une pratique qui entraîne principalement une capacité dont on dispose tous à différents degrés : la flexibilité attentionnelle.
Ton attention sans entraînement
Sans entraînement, ton attention a naturellement tendance à être totalement capturée par un ou deux éléments de ton environnement. Que ce soit la conversation que tu es en train d’avoir avec un.e ami.e, le podcast qui diffuse dans tes oreilles ou le souvenir de tes vacances dans les Pyrénées orientales, t’es dedans, et automatiquement, le reste passe au second plan, voire est totalement ignoré. Et c’est plutôt utile en fait, parce que je ne sais pas si tu as déjà essayé d’écouter deux conversations en même temps, mais généralement ça finit par un gênant « excuse-moi, j’ai pas suivi ce que tu viens de dire ». Notre cerveau ne peut tout simplement pas tout gérer en même temps, et il a tout intérêt à filtrer certains éléments de notre entourage.

Le problème c’est que cette tendance de notre attention à être involontairement captée par une partie réduite de l’expérience du présent, ça peut nous jouer des tours. Par exemple si tu es du genre imaginatif et que tu es spécialisé.e dans les scénarios catastrophe, tu peux te retrouver absorbé dans des ruminations sur des situations dramatiques totalement improbables et te sentir vraiment mal. Être tout le temps plongé dans des pensées sur l’avenir ou des ruminations du passé, c’est aussi ce qui donne à beaucoup de gens le sentiment de plus avoir le temps de rien, de ne plus être connecté à rien, et d’avoir perdu le contact avec ses chakras cosmiques.
Tu peux imaginer ton attention comme un faisceau lumineux : plus il éclaire une zone restreinte, plus cette zone chauffe, plus la zone est large, et plus la chaleur est diffuse. Entrer en pleine conscience, c’est être capable d’élargir ton faisceau attentionnel. C’est donner à tes pensées la même place et la même importance que le bruit des oiseaux ou la sensation de ton petit orteil gauche : un stimulus parmi d’autres, présenté à ta conscience à un moment donné.

Avoir une bonne capacité de “pleine conscience”, c’est être capable de se décoller d’une expérience et de lui redonner une juste place parmi toutes celles qui sont en train de se produire. Et ça c’est la porte d’entrée à une réalisation extraordinaire qui peut changer ta vie : tu n’es pas le contenu de ton mental, et tes pensées, ce ne sont que des pensées.

Si la petite voix dans ma tête qui me dit que je vais foirer ma présentation et me faire virer ou que je ne ressemble à rien n’est ni plus forte, ni porteuse de plus de vérité que le tic tac de ma montre, ou la sensation provoquée par les vêtements sur ma peau, alors il y a des chances que l’angoisse qu’elle me procure soit plus légère.
La méditation de la pleine conscience comme entraînement de la flexibilité attentionnelle
Cette flexibilité attentionnelle qui permet de se rendre compte de la nature de notre expérience de l’instant, on la possède tous à des degrés plus ou moins fort, mais c’est une capacité qui peut se développer. Et la méditation de la pleine conscience est un moyen d’entraîner cette qualité et de parvenir à changer de vision de l’existence. Et alors comment ça marche ?
Quand on parle de méditation, on a généralement 2 images qui viennent en tête :
- Celle du mec qui pense très fort à un sujet jusqu’à en découvrir la vérité totale, comme Descartes avec ses « méditations métaphysiques », dont rien qu’avec le titre, tu as déjà compris qu’il fallait avoir bien dormi la veille avant d’entamer la lecture.
- Celle du moine assis en lotus sur une montagne et qui, grâce à son crâne chauve et des années d’entraînement, parvient à « faire le vide », à « ne penser à rien ».

La méditation de pleine conscience se situe un peu entre les deux. On n’est pas complètement sur la première parce que si tu peux, au travers de la méditation, changer ta perception de certains phénomènes et parvenir à une forme d’illumination, ce n’est pas en réfléchissant très fort au sens de la vie mais en concentrant ton attention sur le présent que tu vas y parvenir.
Et on n’est pas sur la deuxième idée non plus pour une simple raison : ne penser à rien est impossible, et ne veut pas dire grand-chose. Ne penser à rien, c’est ce qui se passe quand on dort d’un sommeil sans rêves, ou qu’on est mort. C’est être absent à soi et au monde, c’est l’opposé de la pleine conscience. Au mieux la pleine conscience te permet de te détacher complètement du contenu de ta pensée mais jamais de la supprimer complètement.
Cependant, il est vrai que la méditation de pleine conscience, avant d’être un produit phare de l’industrie du bien-être, provient du bouddhisme et a plus de 2000 ans. Elle implique donc bien des mecs en robe avec des crânes chauves assis en lotus.

Au départ, il s’agissait pour les méditants de s’asseoir et de se connecter avec l’expérience du présent. Abandonner le contrôle, se laisser aller à tout ce qui est, à l’intérieur et à l’extérieur de soi, mais sans jamais se laisser capturer par un élément en particulier. Le projet était d’atteindre l’éveil spirituel en faisant l’expérience du caractère transitoire et superficiel de nos états émotionnels, de nos pensées et plus généralement de notre ego. Constater, par l’exercice, que le sel de ce que nous sommes, c’est uniquement l’expérience du présent, et que celle-ci peut être détachée du désir, et donc de la souffrance. À terme, l’idée est de parvenir à se dissoudre dans l’essence de l’univers en renonçant à son identité, à son ego, et à toute considération terrestre comme la deuxième saison d’Emily in Paris, ou les guilis dans ton ventre quand tu vois quelqu’un qui te plaît. L’effet secondaire étant que plus rien n’a de valeur, plus rien n’a de sens, et aucune considération terrestre ne saurait perturber cet état de détachement de tout.

Si aujourd’hui, la méditation de pleine conscience est vendue comme une technique de contrôle de ses émotions, de gestion du stress, d’augmentation de la productivité et de développement personnel (tous naturellement tourné vers le développement de soi), on voit qu’on est pas tout à fait sur le même crédo.
La méditation en pleine conscience est-elle efficace ?
Mais finalement pourquoi pas, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse, pas vrai ? L’important c’est que ça marche, pas d’où ça vient ! Et la méditation, ça marcherait du feu de dieu. Validée par un corpus de plus de 20 000 études, elle aurait des effets positifs sur le stress, la dépression, la douleur chronique, les points de côté et occasionnerait même, accroche-toi Jeannot, des changements dans le cerveau. Bon, c’est le cas de n’importe quel apprentissage, mais cherche pas, ça marche, je te dis.

Mais on fait quoi alors quand on médite ? Eh bien on peut faire plusieurs choses. Méditer de façon formelle, c’est généralement s’asseoir sur un coussin, un banc, ou même une chaise pour les moins folkloriques d’entre nous, et exercer son attention. Souvent au début on est aidé par un guide qui nous donne des indications. YouTube est plein de vidéos de méditations guidées, et les stores de ton téléphone ne demandent qu’à te faire installer des applis d’assistance à la méditation, si tu as envie d’essayer.
Parce qu’elle est toujours présente, et donc pratique, et en même temps, si présente que nous n’y prêtons jamais attention, le premier point d’ancrage est souvent la respiration. Et donc on va essayer, autant que faire se peut, de te concentrer sur sa respiration et sur les sensations qu’elle nous procure. Sauf qu’en tant que débutant, notre cerveau n’étant pas entraîné, on va invariablement délaisser cette stimulation très peu captivante et partir dans des pensées autrement plus excitantes.
Et le jeu sera alors de le remarquer et de revenir à sa respiration, et ce, autant de fois qu’il le faudra pendant un temps donné. Et ensuite ? Ben rien, c’est tout, c’est ça la méditation. Ce n’est pas penser à rien, et ce n’est pas découvrir le sens de la vie. En fait, l’objectif, c’est de faire ces aller-retour entre ses pensées et un objet choisi. Chaque aller-retour, chaque constat qu’on est parti dans nos pensées, c’est une prise de contrôle de notre attention, et donc un exercice de ta capacité de pleine conscience. Petit à petit, et avec la pratique, tu vas chercher à ouvrir ton attention à d’autres choses que ta respiration. Les sons, les sensations, les émotions, toujours en les observant, sans chercher à les modifier, sans les commenter mentalement et sans les juger. À terme, tu pourras donner ton attention à tout ce qui est présent en même temps, sans t’attacher à rien, sans fusionner avec rien.

Tu peux aussi t’exercer à n’importe quel moment, de façon « informelle », en te concentrant volontairement sur des aspects de l’ici et maintenant que tu ignores d’habitude. Genre tiens, tu le sens ton petit orteil gauche là ? Nan ? Ben essaie pour voir. Bim, exercice de pleine conscience. Et l’eau chaude sur tes mains quand tu fais la vaisselle ? Rebim. Toute pratique qui implique le contrôle volontaire de ton attention et l’empêchement de sa capture est un exercice de pleine conscience.
Plus tu feras ces exercices, et plus ta capacité à te concentrer sur ce que tu veux, et pas sur ce qui fait de l’oeil à ton attention sera forte. Tu développeras petit à petit une position un peu décentrée par rapport à tes pensées et tes émotions et sera donc moins facilement englué dedans. Tu seras capable de les observer, en plus de les vivre, et peut-être plus à même de les accepter. Et ça, c’est vraiment cool. Et tu pourras enfin apprécier le bruit des oiseaux.

L’un des arguments avancés par les partisans de la méditation est aussi qu’elle permet aux gens overbookés de faire une pause.
Quand on parvient à prendre 15 minutes pour s’asseoir et ne rien faire dans une journée cadencée par les contraintes et l’exigence de productivité, on rentre dans une démarche de prise de soin de soi qui est à coup sûr salutaire.
“Mais alors si c’est si cool, pourquoi est-ce que je ne médite pas ?” Me demanderas-tu interloqué, observateur que tu es du titre de mon article et des quelques signes d’ironie narquoise disséminés ça-et-là dans cet article.
Pourquoi je ne médite pas
La réponse est très simple : parce que je n’en éprouve pas le besoin aujourd’hui dans ma vie, et aussi parce que, je dois l’avouer, ça m’ennuie un peu et j’ai du mal à m’y mettre. J’y viendrai sans doute plus tard, mais pour le moment je m’en passe plutôt bien.
Mon objectif avec cet article n’est pas de démonter la méditation de la pleine conscience. Je pense que c’est un outil formidable et qu’il permet de développer une qualité vitale, à savoir le recul sur soi et sur les choses qui se passent à l’intérieur et à l’extérieur de soi. Si tu te sens speed, si tu souffres d’angoisses ou de ruminations, si tu te sens rigide et anxieux, alors la méditation peut être un entraînement salutaire qui t’aidera à prendre le recul nécessaire et à remettre les choses à leur juste place dans ta vie.
Il se peut aussi que tu n’aies pas besoin de ça pour prendre le temps, faire une pause ou questionner tes pensées. Et c’est très bien. Tu peux méditer, mais tu peux aussi bien ne pas le faire et ça n’est pas grave. La méditation de la pleine conscience n’est par ailleurs pas le seul moyen de développer la compétence qu’elle entraîne. C’est un chemin vers la flexibilité attentionnelle et la métacognition, mais ce n’est pas le seul.
Pour travailler ta forme physique, tu peux aller courir, mais aussi faire du basket, danser, ou pratiquer le double-X-core-death-Crossfit régulièrement, selon ce qui te fait vibrer.
Pour ma part, c’est la philosophie et la pratique de mon métier de psychothérapeute qui m’ont beaucoup aidés à développer cette conscience de mon fonctionnement et de mon environnement. Et ça m’a fait beaucoup de bien. Et pour toi ça peut être autre chose. La littérature, le ping-pong, ou la dégustation de fromage, qu’importe. Tous les chemins peuvent mener à une meilleure connaissance de soi et une meilleure compréhension du monde si cette démarche est présente à notre esprit.

Ma réserve irait sans doute plus à la surexploitation et la glorification de la méditation sans se demander comment elle marche qu’à la pratique en elle-même. Je regrette qu’elle soit parfois vendue comme une solution miracle à des problèmes de notre époque sans jamais questionner son origine ou les mécanismes qu’elle sollicite, ou qu’elle soit perçue comme une simple méthode de relaxation, ce qu’elle n’est pas. En un mot je regrette qu’elle soit devenue un produit de l’industrie du développement personnel. La méditation, aussi intéressante soit-elle n’est pas la clé du bonheur comme on essaie parfois de te la vendre. Et si ce n’est pas ton truc, tout n’est pas perdu pour toi.
Enfin, je suis aussi sceptique face à l’idée qu’il faudrait absolument être mindful tout le temps et que l’état de pleine conscience soit à rechercher en toutes circonstances.
Il est bon, parfois, de se laisser absorber par ses pensées, d’être hypnotisé par une lecture ou un film, de se laisser posséder par ses émotions, de ressentir le pur flow d’une symbiose avec une musique, de rêver sans voir les heures passer, et de n’être pas présent à chaque seconde, parfois désagréable de l’existence. Sauf si ton objectif est de dissoudre ton ego dans le flux cosmique, et dans ce cas là, je parle à quelqu’un qui n’existe peut-être déjà plus.