Comprendre et surmonter la peur de sortir liée au Coronavirus (partie 1/4)

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Une semaine est passée depuis la fin des mesures strictes de confinement. Un phénomène surprenant est depuis apparu : pour beaucoup de gens et notamment des personnes qui viennent solliciter de l’aide psychologique, le déconfinement semble bien plus difficile à vivre que le confinement. 

La peur de sortir : une phobie née le 11 mai

Ils me décrivent l’apparition chez eux de symptômes anxieux, de ruminations, d’angoisses sévères à l’idée de remettre les pieds dehors. L’extérieur dont on s’est tant langui est devenu un endroit menaçant ou ils ne mettront les pieds sous aucun prétexte. L’autre, dont on disait qu’ils nous avaient tant manqué est maintenant un agent de contamination imprudent à ne surtout pas approcher. 

D’où vient cette crainte de sortir ? Est-il légitime d’avoir si peur ? Devons-nous continuer à rester chez nous ? Et si ce n’est pas le cas, comment dépasser cette inquiétude qui génère de la souffrance et vous prive peut être de nombreuses activités extérieures qui sont importantes pour vous et qui vous feraient du bien ?

Elle est pas tentante cette petite forêt totalement pas prêt de chez vous ?

Tout d’abord et pour écarter tout malentendu, soyons clairs. Le coronavirus est un problème sérieux et il fait 28 239 victimes en France à l’heure où j’écris ces lignes. Tout ce qui va suivre ne vise en rien à minimiser la gravité de la crise que nous traversons et les drames qui ont touché de nombreuses familles. 

De même, les émotions ressenties par ceux qui souffrent de cette peur de sortir sont réelles, et il ne s’agit en aucun cas de les minimiser, de les disqualifier ou de les délégitimer.

C’est OK d’avoir peur. C’est normal de se sentir en insécurité dans cette situation, et ça l’est d’autant plus si vous avez dans votre entourage des gens qui ont contracté le virus, voire qui en sont décédées. D’ailleurs la peur est très utile la plupart du temps. Cette émotion, qui se déclenche lorsqu’on perçoit une menace, a l’avantage depuis des milliers d’années de nous inciter à détaler et nous tenir loin de la source du danger, et ce faisant, de nous maintenir en vie.

Ce qui est plutôt sympa, ne nous le cachons pas.

Elle a en revanche le défaut d’inhiber nos fonctions mentales supérieures et de nous priver d’une analyse fine des situations. On recourt beaucoup plus facilement à des raccourcis dans notre pensée lorsqu’on est en proie à la peur et on voit les choses de manière radicale et souvent réductrice. Et c’est normal. Là aussi, la peur fait son job. 

En présence d’un danger, il faut réfléchir vite pour agir vite (le plus souvent, ça veut dire se mettre à l’abris). Pas le temps de faire dans le détail. Or, nous avons justement besoin de précision et de finesse d’analyse dans la perception du réel pour surmonter la peur de sortir et retrouver un peu de marge de manœuvre dans notre vie. Je vais essayer, au cours de cette semaine, de vous présenter certains raccourcis qu’on utilise (qu’on appelle heuristiques de pensées quand on veut briller en société) et qui peuvent nous rendre l’existence plus difficile qu’elle ne l’est déjà.

La pensée binaire

La première erreur d’évaluation du réel à l’origine de la peur de sortir est la pensée binaire (ou pensée dichotomique.) Comme son nom l’indique, elle consiste à diviser le monde en deux parties bien distinctes sans aucune nuance : les gentils vs les méchants, les gens biens vs les cons. Ça marche pour les gens, mais pas uniquement. Dans le cas de la crise du Coronavirus, la pensée binaire a été bien encouragée par le traitement médiatique et social de la crise. En effet, vous avez pu voir comme moi pendant le confinement jour et nuit et un peu partout ce slogan de ralliement à la cause sanitaire qui tient en trois mots : « restez chez vous ». 

Bien sûr, le respect des mesures de distanciation était important, vital même, mais les réduire à cette seule injonction à ne pas sortir autoritaire et absolue, presque hypnotique, s’est sans nul doute imprimé dans le cerveau de chacun. Elle a pu y laisser cette idée : « chez moi=sécurité », « extérieur=danger mortel ». Pas étonnant dès lors que la perspective de remettre les pieds dehors ait pu devenir si anxiogène pour certains. 

On espère au moins qu’il s’est lavé les mains avant de faire ça.

Sauf qu’en réalité, l’extérieur n’est pas dangereux en lui même. L’air n’est pas contaminé et le virus ne vous attend pas à la sortie de votre immeuble pour vous sauter à la gorge. Il n’est ni présent sur toutes les poignées de porte, ni dans l’organisme de toutes les personnes que vous allez croiser dehors.

Vous ne risquez pas la contamination du simple fait de sortir, mais dans certaines situations spécifiques : contact avec surface contaminée suivi de contact avec le visage, ou ingestion de gouttelettes respiratoires de personne contaminée. Il semblerait par ailleurs que 90% des contaminations se déroulent en milieu clos, et non en extérieur.

Il est donc par exemple hypothétiquement plus dangereux de sortir 2 minutes pour chercher son courrier devant chez soi en touchant le bouton de l’ascenseur si l’on ne se lave pas les mains avant de manger des chips, que de se promener 4 heures dehors.

Et ça change tout. Éviter les véritables zones de contaminations passe dès lors par une certaine distanciation sociale et la mise en pratique des gestes barrières, et non plus par un évitement systématique de toute sortie quelle qu’elle soit ou de l’extérieur dans sa globalité. 

La choré c’est cadeau, pour chez vous.

Déjouer la pensée binaire en pratique

On peut commencer à se défaire de la pensée binaire avec un exercice très simple : 

Listez 5 activités que vous aimiez faire avant le confinement. Ce peut être dîner chez des amis, faire du vélo, sortir dans le jardin en bas de chez vous, aller vous balader dans le quartier , ce que vous voulez. Listez également 5 comportements que vous trouvez totalement inconscients : sortir sans masque, ne pas respecter la distance de sécurité à la supérette, ce que vous voulez, ce qui vous semble « dangereux » aujourd’hui.

Une fois vos 10 activités listées, notez chacune d’elle en fonction du risque de contamination pour l’auteur sur 100. 100 étant la certitude d’être contaminé (l’équivalent de s’exposer nu à une brumification intensive de liquide contaminé), 0 étant l’impossibilité totale d’être contaminé (l’équivalent de rester dans une pièce stérile dans un scaphandre étanche).

Allez-y au jugé, sans trop savoir, mais essayez d’être réaliste. Rappelez vous qu’à chaque fois que vous dites « ça dépend» cela rajoute des facteurs d’incertitude qui réduisent le chiffre.

Pas évident celui là…

D’une part, vous allez ainsi voir qu’il y a des comportements plus risqués que d’autres et qu’ils n’impliquent pas uniquement la distinction « intérieur/extérieur », et d’autre part, qu’il est loin d’être évident de placer des comportements directement sur les extrêmes. En effet, même prendre dans ses bras des gens au hasard dans la rue par exemple, si cela présenterait un risque élevé et plus important que de se tenir à un mètre cinquante de tout le monde avec un masque, ne représente en aucun cas une certitude de contamination. Ce n’est pas pour ça qu’on va le faire, et nous en reparlerons dans un prochain article, mais ça vaut le coup d’être remarqué.

Le réel est ainsi. Nuancé, complexe et non divisé en deux pôles clairs et distincts, n’en déplaise à ce que notre émotion souhaiterait nous faire croire.

On pourra me rétorquer que c’est évident, et que même si l’on sait déjà tout ça, on peut avoir peur malgré tout. Et c’est vrai, ce n’est pas parce que notre tête sait quelque chose que nos émotions cessent d’exister. Mais aller au-devant de sa peur est comme prendre une mer déchaînée : on ne pourra y naviguer qu’à la condition que le navire de notre raison soit suffisamment solide pour ne pas sombrer sous les assauts de la tempête.

Si vous êtes bloqué.e.s chez vous depuis le déconfinement, c’est que votre émotion vous a convaincu du bien-fondé de son projet « sécurité ». Et nous essayons juste de remettre les choses en perspective, de renforcer votre bateau, pour parvenir à aller vers ce qui compte pour vous, et qui est peut-être juste là, dehors, à un pâté de maisons de chez vous, ou dans votre jardin.

Demain nous verrons comment une autre confusion nous prive d’un rapport juste à la situation et de la liberté d’action dont nous avons besoin pour nous épanouir. Stay tuned.

2 commentaires sur “Comprendre et surmonter la peur de sortir liée au Coronavirus (partie 1/4)

  1. […] article est la seconde partie d’une série de 4 dont la première est disponible ici. La lecture de la première partie, si elle n’est pas nécessaire, enrichit l’article que vous […]

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  2. […] article est la seconde partie d’une série de 4 dont la première est disponible ici, et la seconde, ici. La lecture de ces parties, si elle n’est pas nécessaire, enrichit […]

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